Pour se lancer

LES TROIS CHATS

Il y avait une fois trois chats.

Un chat blanc, un chat noir et un chat gris.

Le chat blanc était tout blanc, et il voulait être noir.

Le chat noir était tout noir et il voulait être blanc.

Et le chat gris ? Tout gris et très content d’être tout gris.

Quand le chat blanc voyait quelque chose de noir, il se roulait dedans dans l’espoir de devenir tout noir : il se roulait dans la terre noire,

il se roulait dans le charbon, il se roulait même dans le caca

quand il était tout noir.

Quand le chat noir voyait quelque chose de blanc, il se roulait dedans dans l’espoir de devenir blanc : il se roulait dans le sucre, il se roulait dans la farine, il se roulait dans le caca quand il était tout blanc,

mais ça n’arrivait pas souvent.

A force de se rouler dans le noir, le chat blanc est devenu tout gris.

A force de se rouler dans le blanc, le chat noir est devenu tout gris.

Et il y eu trois chats gris : Un chat gris, pas du tout content d’être gris parce qu’avant il était tout blanc et qu’il voulait être noir.

Un chat gris, pas du tout content d’être gris

parce qu’avant il était tout noir et qu’il voulait être blanc.

Et un chat gris, qui avait toujours été tout gris,

et très content d’être tout gris.

A ton avis, lequel de ces trois chats est le plus intelligent ?

Le tout gris toujours tout gris ? Je crois.

De toute façon il a plu : Le chat blanc est redevenu blanc.

Le chat noir est redevenu noir.

Le chat gris était toujours tout gris.

Ils ont été très contents d’être comme avant, mais surtout…

…ils ont été très contents de s’être rencontrés dans mon histoire

et d’être devenus de bons amis.

Car l’important dans la vie, ce n’est pas d’être blanc, noir et gris,

C’est d’être comme on est,Et d’avoir de bons amis.

Alain Gaussel

Le Môme Néant

Quoi qu’a dit ?

–     A dit rin.

Quoi qu’a fait ?

–     A fait rin.

A quoi qu’a pense ?

– A pense à rin.

Pourquoi qu’a dit rin ?

Pourquoi qu’a fait rin ?

Pourquoi qu’a pense à rin ?

–     A’xiste pas.

Jean Tardieu (1903-1995)

Conte de fée

Enfant

Je ne savais pas lire

Maman était ma bibliothèque


Je lisais maman


Un jour

Le monde sera en paix

L’homme sera capable de voler

Le blé poussera en pleine neige

L’argent ne servira à rien…


L’or servira à faire des tuiles

Le papier-monnaie à tapisser les murs

Les pièces à faire des ronds sur l’eau…


Je serai un jour le voyageur

Chevauchant une grue rose venant d’Egypte

Muni d’une pomme dorée

Et d’une bougie aux cheveux argentés.

Je traverserai les pays de conte

Pour demander la main de la princesse

De la Ville des friandises


Mais en attendant

Dit maman

On doit beaucoup travailler

LU YUAN

Il m’a dit

Il m’a dit :

Ma race est la race jaune ;

J’ai répondu :

Je suis de ta race.

Il m’a dit :

Ma race est la race noire.

J’ai répondu :

Je suis de ta race

Il m’a dit :

Ma race est la race blanche.
J’ai répondu :

Je suis de ta race ;

Car mon soleil fut l’étoile jaune

Car je suis enveloppé de nuit ;

Car mon âme,

comme la pierre de la loi, est blanche.

Edmond Jabès

Mme Denis ne veut pas d’histoires

Dans le jardin de Mme Denis,

Deux pinces à linge,

L’une en bois, l’autre en plastique,

Font un brin de causette pour passer le temps.

–     Ah, soupire la pince en bois,

Si je pouvais m’installer sur un fil électrique ! ça doit être excitant !

Ou sur les cordes d’une guitare :
J’adore la musique !

–     Moi dit la pince en plastique,
je rêve de me fixer sur un fil barbelé :

J’aime le danger !

Ou sur le câble du téléphone, pour espionner des conversations secrètes !

–     Pas d’histoires !

dit Mme Denis en suspendant une chaussette et un chiffon à poussière.

Vous resterez sur mon fil à linge !

Et voilà : à cause d’elle, il ne se passe rien

Lire, c’est voir dans sa tête

A l’intérieur de soi

C’est le plus actif, le plus puissant et le plus humble

Des passe-temps

On ressuscite des morts

On donne vie à un ou plusieurs êtres

A des mots

A des concepts

A sa conscience

Voilà pour les qualités

Le défaut majeur de la lecture

C’est de nous faire rater trop souvent

la station de métro

où il fallait descendre.

Kent

Devoirs de vacances

Et une fois encore,

ce fut la bataille avec les mots

Une fois encore

ils se refusaient à nous.

Pourtant nous les avions bien accueillis

lorsque nous les avions rencontrés

dans les livres.

Ceux qui sont rares et tout baignés de songes ;

ceux qui désignent les choses

avec une grande précision,

comme les noms des parties d’un instrument ;

Ceux qui sont faits pour dire un aspect du temps,

ou pour exprimer un ensemble d’objets

comme « la mâture », « la voiture » ;

nous les avions recueillis ;

nous avions pensé : « c’est bon à savoir »

et les avions thésaurisés dans notre cœur.

Et voici que maintenant,

quand nous avions besoin d’eux,

ils se dérobaient…

Valéry LARBAUD

Le suspense

C’avait été une journée merveilleuse,

un vrai mercredi idéal,

Magali avait pu écouter dix-sept fois son disque

avant que sa mère ne demande grâce,

elle avait pu lire pour la quatrième fois

son club des cinq,

elle avait remélangé ses poupées

pour les remettre dans l’ordre,

Elle avait reraconté l’histoire

du Petit Chaperon Rouge à son ours
qui l’avait oubliée,
elle avait remis à Corinne son pull habituel,

elle avait pu réécouter son disque

pendant que sa mère faisait les courses et

son diable de père venait de tout gâcher.

En lui racontant Les Trois Petits Cochons,

comme tous les soirs,

il avait fait exprès de lui dire

que la maison était en pierres

alors que toutes les autres fois,

elle était en briques et, en plus,

il faisait semblant de ne pas comprendre

pourquoi elle pleurait.

Paul Fournel

Terre à bonheur

La terre

Est mon bonheur.

Je remercie tous ceux qui luttent sur la terre

A l’exemple des morts très grands.

Tous ceux sans qui la guerre égrainerait la terre

Et les maisons, les hommes,

En des millions de feux ou dans peut-être un seul

Et laisserait bientôt sous le ciel revenu

De la grisaille solitaire

Avec par-ci, par-là,

des lueurs fauves qui s’éteignent.

Je remercie tous ceux à qui je dois de vivre

Et de pouvoir aller dans ce jour prometteur

De jours plus vrais encore, la joie pour tous

Qui recommence à chaque instant,

La fête sur les jours et sur les nuits des hommes

Avec le bon travail qu’ils font à leur désir.

Avec ce travail là qui, d’année en année,

Sait encore monter le degré de la fête.

Je remercie tous ceux qui luttent par le monde

A l’exemple de ceux qui ont aimé la vie

Assez pour nous l’offrir

pleine déjà de jours pareils

A celui où j’avance en caressant les buis.

Guillevic

Un Ange cornu avec des ailes de Tôle

Je n’arrivais pas vraiment à faire abstraction des noms des personnages en lisant, mais je fus vite pris par l’histoire.

Les petits enfants perdus au bord du chemin, le brave zouave qui les prenait sous son aile protectrice, la belle aubergiste qui les accueillait tous, les nourrissait, les logeait sans rien leur demander d’autre que de transporter le lait… Transporter le lait ? En petit garçon de la ville qui n’avait qu’à ouvrir la porte de l’appartement pour trouver chaque matin deux pintes de lait posées sur le paillasson, j’avais un peu de difficulté à imaginer qu’on puisse aller puiser le lait directement de la vache ou les œufs de dessous le ventre de la poule… J’apprenais toutes sortes de choses sur la vie à la campagne, des noms d’arbres et de fleurs, de mets dont je n’avais jamais entendu parler ; au bout de quinze pages, j’était amoureux fou du chien Capitaine et je rêvais d’avoir une mère aubergiste…

Mais les deux petits garçons, Jacques et Paul, me semblaient bien bizarres, à la longue. Pour des fils de fermiers, ils parlaient drôlement bien, prononçaient toutes les syllabes bien comme il faut, faisaient leurs négations sans jamais en omettre une seule, étaient polis et parfaits ; enfin, bref, ils m’énervaient un peu.

Parce que je n’arrivais pas à m’identifier à eux, je suppose. C’étaient des enfants, mais des enfants comme je n’en avais jamais vus dans ma vie. Si quelqu’un avait parlé comme eux dans ma classe, il se serait vite fait casser la gueule !                 

Michel Tremblay

Texte libre

Dimanche, je suis allé chez mon tonton et ma tata.

On a mangé du poulet avec des frites.

Après, on est allés au zoo et on a vu le tigre dans sa cage.

Quelle belle journée !

Lundi, je suis allé chez le tigre.
On a mangé mon tonton et ma tata avec des frites.

Après, on est allé au zoo et on a vu le poulet dans sa cage.

Quelle belle journée !

Mardi, je suis allé chez le poulet avec des frites.

On a mangé le tigre

Après, on est allé au zoo et on a vu mon tonton et ma tata

Dans leur cage.

Quelle belle journée !

Mon arbre à soucis

J’avais retenu les services d’un menuisier pour m’aider à restaurer ma vieille grange. Ce jour-là  sa journée fut difficile : une crevaison lui fit perdre une heure de travail, sa scie électrique rendit l’âme, et pour finir, au moment de rentrer chez lui, son vieux camion refusa de démarrer.

Je le reconduisis chez lui.

Il demeura froid et silencieux tout au long du trajet. Arrivé chez lui, il m’invita à rencontre sa famille.

Comme nous marchions le long de l’allée qui conduisait à la maison, il s’arrêta brièvement près d’un petit arbre, touchant le bout des branches.

Quand il ouvrit la porte pour entrer chez lui, une étonnante transformation se produisit : son visage devint rayonnant, il caressa ses deux enfants et embrassa sa femme.

Lorsqu’il me raccompagna à ma voiture en passant près de l’arbre, je lui demandais pourquoi il avait touché le bout des branches de cet arbre un peu plus tôt.

« C’est mon arbre à soucis », me répondit-il. « Je sais que je ne peux éviter les problèmes, les soucis et les embûches qui traversent mes journées, mais il y a une chose dont je suis certain : ceux-ci n’ont aucune place dans la maison avec ma femme et mes enfants.

Alors, je les accroche à mon arbre à soucis tous les soirs lorsque je rentre à la maison. Et puis je les reprends le matin. »

« Ce qui est le plus drôle », sourit-il, « c’est que lorsque je sors de la maison le matin pour les reprendre, il y en a beaucoup moins que la veille lorsque je les avais accrochés. »

La terre est un jardin bordé de nuit.
Tels des aveugles nous avançons
mais sûrs de nous, fiers, consommateurs, cruels, assoiffés de profits.
Modernes ?

Que restera-t’il à nos enfants
de cet oasis si humaine ?
Seront-ils là seulement
pour contempler nos méfaits ?


Verront-ils comme nous le ciel aux mille étoiles, les fleurs, le désert,  la vie menacée, la guerre ?

Ne mourrons pas résignés devant nos ordinateurs. Dans le silence. Dans nos lits. Battons nous. Cherchons le beau, le vrai.
Ayons enfin le courage des larmes.
Et révérons la vie.

Thédore Monod.

Cultiver le jardin de l’âme,
c’est encore accepter les paradoxes.


Ils sont à la racine même de la vie,
qui n’est nullement linéaire.

Ne t’étonne  point d’être le contraire
de ce que tu voudrais être.

D’être fragile lorsque tu voudrais être fort. Sensible alors que tu te voudrais
solide comme un roc,
Possessif quand tu te voudrais
seulement aimant ;

Rancunier quand tu voudrais pardonner.

Jean-Marie Pelt

Je ne suis pas optimiste
car je ne suis pas sûre que tout finira bien. Je ne suis pas pessimiste
car je ne suis pas sûr que tout finira mal.

J’ai simplement l’espoir au coeur. L’espoir,
c’est le sentiment
que la vie et le travail ont un sens.
Et on peut l’avoir
indépendamment de l’état du monde
qui vous entoure.
La vie sans espoir
est vide, ennuyeuse et inutile.
Je ne peux imaginer
que je pourrais lutter pour quelque chose si je n’avais pas l’espoir en moi.
C’est un don aussi grand que la vie même.

Vaclav Havel

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