10 ans d’histoire commune

 

Comment a commencé, pour nous, la coopération Nantes Recife ?

Interpellée par nos amis du Brésil, je vais revenir sur cette histoire commune. En 2009, la ville de Recife a invité la ville de Nantes à participer au festival de littérature de Recife.

Comment me suis-je retrouvée associée à cette dynamique ?

Je suis impliquée depuis une quarantaine d’années dans la lecture dans la rue. La découverte et les premières expériences se sont forgées à Amiens grâce au savoir-faire d’une voisine devenue amie Odile Robitaille. J’ai découvert le mouvement ATD quart monde. J’étais touchée par leur façon d’exprimer la soif d’apprendre, moi qui avait beaucoup souffert à l’école en dépit de tous mes efforts. J’avais eu la chance de pouvoir aller à l’école. Pourtant je me trouvais constamment en échec.

A Amiens, avec mon mari, Laurent, nous habitions dans un quartier populaire où il restait, 40 ans après la guerre, des logements – dits provisoires – en carton goudronné. Avec Odile nous allions à la rencontre des familles qui y vivaient. Nous avons lu, nous avons beaucoup lu ; nous avons observé, rencontré, compris un peu, écrit pour garder la mémoire de la vie de ces enfants. Un chemin de rencontres s’est ouvert, par la bibliothèque de rue. Il s’est enrichi dans le partage avec d’autres militants et grâce aux formations.

Nous avons cherché des livres adaptés à la curiosité des jeunes rencontrés une fois par semaine. Et notre initiative a donné envie à d’autres de nous rejoindre. L’association Cardan était née.

La bibliothèque de rue a marqué profondément ma vie :

J’ai découvert un peu ce que voulait dire être pauvre. J’ai réalisé la violence d’une situation où des gens peuvent être malmenés et submergés par le quotidien.

J’ai ouvert la porte de la littérature jeunesse. J’ai commencé à savourer des albums optimistes, larges, profonds, beaux, drôles…

Mes enfants ont reçu le cadeau des chansons, histoires et comptines. Et mon rôle de maman a pu s’appuyer sur ce patrimoine. (Mère de quatre fils, je disais en riant que, dans certains moments de colère ou d’énervement, sans les livres, j’aurais jeté mes enfants par la fenêtre ! ) Bref, les livres nous ont sauvés.

Les livres m’ont permis de belles rencontres avec de « belles personnes », des personnes de valeur ! Un voyage immobile, intemporel…

Anne-Sophie responsable de l’ARPLE (association de recherche et de pratique sur le livre et l’enfant) nous a fait progresser dans notre capacité à choisir les albums et à les utiliser au mieux. J’ai été la première bénéficiaire des formations que j’ai pu mettre en place dans le cadre de l’URLIP ( Union ressources de lutte contre l’illettrisme en Picardie). Ces formations ont créé pour les militants et formateurs une contagion de découvertes, de joie d’apprendre, de goût du partage, de plénitude de la vie.

Voilà plus de 40 ans que j’expérimente le confort de pouvoir m’appuyer sur un auteur et sur un illustrateur de qualité. Je prête ma voix, mon corps s’assouplit et se met à la hauteur de mon auditoire. Mes yeux vont chercher avec patience et bienveillance de jeunes « clients » particulièrement mobiles ! Invitant chacun à se poser en confiance, à ouvrir ses oreilles, son cœur, sa mémoire et son intelligence. Et je suis témoin de la façon dont les mots, comme de petites graines germent et fécondent des esprits.

Enfant, j’ai eu la chance d’avoir une famille qui, inlassablement, m’a proposé d’ouvrir des portes vers la rencontre de l’autre, vers des domaines culturels qui m’étaient étrangers. Je pense que mon histoire douloureuse avec l’apprentissage du lire/écrire a joué un rôle dans mes choix professionnels au sortir de l’école de commerce.

En 1996, je quitte Amiens, laissant le Cardan, ses 4 bibliothèques de rue, ses 80 bénévoles impliqués dans le développement de la lecture et les apprentissages de base.

Nous nous installons à Nantes. Dans le quartier Malakoff, la lecture de rue est à nouveau un chemin de rencontres pour moi.

C’est alors que l’invitation de la ville de Recife à la ville de Nantes en 2009 rebondit jusqu’à notre association. Nous partagions chaque semaine la lecture avec des enfants dans le quartier Malakoff depuis 2002. On parlait de lecture « hors les murs ». Le service culturel de la ville s’était appuyé sur mon expérience amiénoise pour faire la courte échelle à plusieurs associations engagées dans la lecture hors les murs dans les quartiers populaires. C’est ainsi que je me suis retrouvée en première ligne pour apporter un témoignage sur une politique culturelle nantaise.

Déjà en 2008, Benoit avait su trouver ma trace à Recife où j’étais en vacances… Premier contact sous une pluie tropicale. Il me mène jusqu’à la bibliothèque de Caranguejo, dans le quartier Tabaiares. Avec une célérité étonnante, il a rassemblé autour de la table les acteurs d’une » toute petite bibliothèque » pleine d’énergie. Il y a là les initiateurs du projet, Reginaldo et Nice entourés de bénévoles, un professeur de l’université voisine, peut être Carmen aussi, qui travaillait à la ville pour les écoles. Je me souviens de grands mots autour d’un idéal de société et de culture. J’ai commencé tout de suite à chanter et à raconter.

En juin 2009, préparant le voyage à Recife, je me suis appuyée sur mon expérience dans la lutte contre l’illettrisme. J’ai choisi des livres, des chansons dont le rythme et les répétitions offraient une joyeuse façon de rentrer dans la langue française.

Et j’ai écouté pendant un mois et même jusque dans l’avion, les chansons et les comptines portugaises et brésiliennes pour rentrer dans la musique d’une langue inconnue.

Qu’ai-je mis dans mes bagages ?

  • une quarantaine d’albums de la bibliothèque de rue en français.
  • une sélection de chansons enfantines d’ici. Dupliquées et prédécoupées en bandelettes multicolores.
  • un témoignage à partager lors du festival.
  • 40 exemplaires du livret « Un Chemin » où un adulte de Nantes confie que ce sont les enfants de la bibliothèque de rue qui lui ont appris à lire…
  • BOM DIA, le premier livre fabriqué avec les enfants de la bibliothèque de rue en une semaine, merci Clotilde, merci l’équipe !
  • un film réalisé par Michel, résumant et illustrant les raisons qui nous poussent, en France, à ne pas lire simplement pour soi dans le confort de la couette mais à aller, dans les courants d’air, rejoindre des enfants.

Et j’ai entrepris ce grand voyage – seule – puisque Laurent sortait d’une opération. Délicate.

 

Vivre les 3 semaines avec la bibliothèque de Caranguejo * a été un véritable voyage. Amis de la BCCT, vous m’avez accueillie avec beaucoup de sympathie. J’étais hébergée chez des amis à l’autre bout de la ville et chaque matin le taxi venait me chercher. J’étais attendue au bout de la rue par Reginaldo. Au long du chemin, de petites voix aigües nous accompagnaient « BONJOUR, BONJOUR »… Les enfants croyaient que je m’appelais Bonjour… Je l’ai compris en lisant un document deux ans plus tard !.

J’ai fait connaissance avec des familles pleines de vie, des enfants toniques, volontaires, bruyants. Des bénévoles discrets et impliqués. Chaque jour, mon carnet se nourrissait des prénoms : ils participaient aux ateliers chansons, fabrication de livrets chanson, jeu memory, et bibliothèque. A guichet fermé !

J’ai offert, un peu, ma connaissance de la littérature jeunesse, si foisonnante et inventive en Europe : Des livres, des documentaires précis joliment illustrés, des albums nourrissants, drôles, poétiques, où la morale laisse un espace à l’impertinence et à la rigolade respectueuse. Je suis arrivée aussi avec ce témoignage de Yannick dans « Un Chemin » où il confie comment ce sont les enfants de la bibliothèque de rue à Nantes qui lui ont appris à lire à l’âge de 35 ans. Je n’ai pas réalisé tout de suite la force symbolique de ce cadeau. Il nous plaçait – à égalité – de part et d’autres de l’Atlantique. En France aussi il y a des adultes qui sont fâchés avec la lecture ou qui n’y ont pas accès.

 

Coopérer… je n’ai pas grimpé dans l’avion avec cette idée…

A Caranguejo, lors du repas quotidien, servi dans la marmite apportée par Cleonice, le pilier historique, sur la table de la bibliothèque, emportée par l’ambiance chaleureuse et les vapeurs de soda, j’ai dit que oui, nous allions garder le lien ensuite. Sans avoir la moindre idée à ce propos.

* Adresse du Blog http://janou.uniterre.com/

Au retour à Nantes, le club des associations partenaires opportunistes et donneuses de leçons a disparu du paysage. Tant de monde prêts à faire tant et tant…

Il a fallu mettre en valeur les expériences vécues, photos à l’appui, organiser des rencontres et des fêtes dans l’hiver.

Avec le printemps, pondre et semer des dossiers argumentant nos besoins financiers ici et là bas. La ville et l’association des Réseaux, support de la bibliothèque de rue de Nantes étaient prêtes à laisser tomber le projet de coopération: « Maintenant, tournons la page » disaient elles.

 

Comment ça a duré et ce que ça nous a apporté…

Opérer, avant de co-opérer… :

  • Animer chaque semaine une bibliothèque de rue à Nantes, dans le quartier populaire de Malakoff.
  • Un même projet, depuis 2002, pour lequel on a changé trois fois de structure porteuse. C’était quand même un sacré challenge – déjà – chez nous.
  • Poursuivre la lecture, qu’il pleuve, qu’il vente, et même quand il fait beau…
  • Nous adapter au chantier perpétuel de réfection du quartier, aux incendies consternants et traumatisants, à l’arrogance pernicieuse et intimidante des vendeurs de drogue
  • Avancer avec optimisme et confiance dans les êtres humains.
  • Entretenir des liens durables, comme des liens de famille, quand on sait combien l’isolement est une forme cruelle de pauvreté.
  • Argumenter pour obtenir la confiance et les moyens financiers des partenaires.

Notre objectif principal était bien d’être présent, chaque semaine.

En fait, la grande majorité des bénévoles ici à Nantes, a découvert l’existence de la BCCT en lisant les Rapports d’Activité annuels.

Les personnes bénévoles s’engagent dans les projets pour quelques mois ou quelques années. Bien sûr, ils apportent des idées, du temps et leurs compétences pour réaliser les livres, construire l’oiseau et ses plumes… Toutefois, cela demeurait… le projet de Jeanne… Eux assuraient la continuité des lectures sur le terrain.

Au-delà de notre activité principale, les enfants ont été associés, stimulés impliqués avec leurs mains et leurs pieds comme peintres, découpeurs, couturiers, photographes, dessinateurs, guides touristiques, journalistes. Ils ont découvert de nouveaux chemins dans la vie/ville.

  • Imaginer, s’ouvrir et « prendre des initiatives »,
  • Oser sortir des habitudes, s’exprimer, goûter des mets inconnus.
  • Ecrire, questionner…
  • Découvrir que même s’ils ne parlent pas le portugais, ils sont capables de comprendre beaucoup de choses ;
  • Constater que les enfants de Recife portent les mêmes baskets qu’eux,
  • Apprendre que là-bas, on ne se déplace pas dans des voitures en bois…
  • Manifester leur admiration d’entendre les enfants parler le français à Caranguejo, de les voir danser sur une vidéo, quand à Nantes, on est un peu plus coincés !
  • Constater la pauvreté des maisons…

 

 

Dans le cadre de la coopération institutionnelle, nous avons été passeport pour bien des voyageurs qui nous interrogeaient avant leur départ pour Recife. Nous avons donné des noms, des adresses à ces personnes de France qui se présentaient de notre part. Peu d’échos en retour. Parfois des commentaires inattendus ou inconfortables.

Je me souviens d’une vidéo aux propos détestables, tournée par un visiteur à Caranguejo. Il déambule dans les ruelles mouillées-bleu d’eau de lessive ; il a un avis sur tout, il sait… Et c’est insupportable. Quand, soudain, son passage déclenche l’aboiement furieux des chiens du quartier. Y répondent les cris terrorisés des enfants de la favela. Et les enfants de Nantes disent « ah, ils sont comme nous, ils ont peur des chiens… ». Retour salutaire à la réalité !

 

C’est notamment grâce au livre » Poissons Gourmands » que nous sommes rentrés dans les appartements de nos « jeunes clients » lecteurs de Malakoff. Pour ce livre, après tant de rendez-vous programmés/oubliés par les familles, nous avons été accueillis. Les enfants journalistes interrogeaient leur parent sur son apprentissage de la cuisine. Rigolades, malentendus, de belles histoires se transmettaient, tandis que les petits dessinaient, coloriaient marmites et ustensiles.

 

Une fois, on a été tellement émerveillés par le livre fabriqué (Poissons Gourmands) qu’il a fallu reprendre l’histoire de la fabrication de ce livre dans un autre livret qu’on a distribué à l’ensemble des familles et aux partenaires. Et quand, un an plus tard, nous avons appris la mort de Mama, 11 ans, en vacances en Guinée, c’est grâce à ce livret que beaucoup de familles ont mis des visages sur la famille qui venait de vivre ce drame. Ils habitaient peut être dans la même cage d’escalier. Et ils ne savaient pas… Alors que les enfants de la BCCT, eux, nous écrivaient des cartes mouillées de larmes.

 

Coopérer avec nos différences

Les enfants nantais n’étaient pas très intéressés, a priori, par le Brésil, ni par la langue portugaise. Pendant 8 ans, le travail en atelier avec l’association de percussions Macaïba nous a fait bouger aux rythmes réciféen. Et des enfants issus de l’immigration, se sont trouvés plus à l’aise que nous, occidentaux très roses et très coincés dans notre corps. Instantanément le rythme les saisissait.

Jusqu’au bout, la participation à l’atelier a été un vrai défi. Nous avons appris à faire équipe avec Macaïba. Nous nous appuyions sur leurs compétences musicales et ils comptaient sur nous pour le recrutement. Nous avons dû chaque semaine mobiliser des bénévoles pour aller cueillir les enfants chez eux. Nous avons argumenté avec les familles sur le bien fondé pédagogique de cet effort : concentration, esprit d’équipe, écoute et respect, ouverture culturelle… Nous avons parfois réussi à négocier pour différer une course à faire en urgence. Nous avons cherché à valoriser avec chaque enfant les apprentissages en cours…. Je me souviens d’un jour d’énorme pagaille, des parents sont intervenus pour faire prendre conscience aux enfants de leur attitude déplorable et de la chance dont ils bénéficiaient. Petit sursaut éphémère…

Nous avons été les témoins émerveillés du savoir-faire des musiciens brésiliens en résidence, avec nos loulous indomptables.

Plusieurs années, nous avons participé au Carnaval de Nantes. Il nous a fallu innover et ouvrir des ateliers de couture dans la rue. Et filles et garçons, tous ont participé, c’était la règle. On a accueilli des mamans et des jeunes aussi. Nous sommes allés aux portes ouvertes visiter la fabrication des chars. Un petit journal garde trace des photos et interviews réalisées.

Nous n’avions pas de gros moyens humains et financiers pour avancer. « La foi, quelle qu’elle soit, » ajoute Dominique, « la foi nous sauvait… » On n’a pas attendu d’avoir les gens disponibles pour y aller. El camino se hace al andar !

 

« J’ai pu constater combien les enfants, ici, sont privilégiés dans un sens, et handicapés par ailleurs, confie Lorena. Les logements en France sont bien équipés, l’école les accueille toute la journée, cinq jours semaine, la cantine est en parti prise en charge par la Ville. Un confort inaccessible pour les familles de la favela ! »

Une apparence extérieure « piège », ne montrant pas la détresse personnelle et sociale des habitants. Pour les visiteurs de Recife, il était difficile d’appréhender tout de suite cette réalité.

A Nantes, les soucis sont d’un autre ordre. Très jeunes, les enfants décident, seuls entre la télé, les copains, la multitude de propositions qui leurs sont faites. L’école et les services de la ville font beaucoup pour les aider à grandir loin des bêtises.

Et je me souviens, à Caranguejo, d’ateliers où l’on refusait du monde. Les parents venaient inscrire leurs enfants. Les propositions sont vécues comme une chance, un cadeau, immédiatement accueilli et investi. A Nantes, les familles oublient bien souvent les engagements pris.

Nous aussi avons reçu en cadeau des albums en portugais. Merci ! Quelques uns sont utilisés lors de fêtes. D’autres, pourtant traduits par Monique, une mamie lusophone du quartier, dorment dans un placard. Pourquoi ?

Nous avons eu la joie d’accueillir Reginaldo, Benoit Leite, Benoit Café, Lorena, Artur, Carmen ou d’autres de façon brève. Notre vécu a été reconnu lors d’un temps fort officiel de la coopération Nantes-Recife, en 2019 à Cosmopolis. Nos amis de Recife disaient leur reconnaissance de ne pas les avoir oubliés après le Festival de 2009, d’avoir gardé ce contact qui, ensemble, allait nous faire sortir des chemins balisés.

 

Coopérer …

On a réalisé ce dont on ne se pensait pas capables, ici. On s’est mis à concevoir et fabriquer des livres. C’était formidable ! Nous ne savions pas que nous savions le faire ! Et l’échange culturel, réciproque, s’est concrétisé dans des mots, des couleurs, des formes artistiques mettant en lumière nos dons, notre imaginaire individuel et collectif. Bouquets chatoyants de nos fragiles élans. Joie de créer et fierté de produire et de montrer nos œuvres autour de nous. Plaisir d’offrir dont tous les enfants ont tiré une grande fierté. Ces livres restent l’un des aspects les plus manifestes de la coopération. En fait, on est restés dans notre métier de développeur du goût de lire !

Beaucoup à dire encore sur ces initiatives soutenues efficacement par la BNP Paribas et son imprimerie.

Livres produits à Nantes : Bom Dia, Un Chemin – Um Caminho, cartes postales, lettres et dessins d’enfants, Le Chemin des lettres, L’oiseau questions, Poissons Gourmands et l’Histoire des Poissons Gourmands, Portraits d’ici, L’affiche de la confiture de citrouille-orange, le Livre de Mama, le jeu « plan de quartier et portraits d’enfants »…

Livres produits à Recife : Bonjour, um Barco, le Crabe, Contes écologiques, 3 légendes, les cartes postales, les dessins et les drapeaux, des revues pédagogiques (dont on s’est juste inspirés pour illustrer l’affiche des 50 ans des bibliothèques de rue), le jeu « plan du quartier et portraits d’enfants », les tee-shirts chaque année quand c’était faisable…

 

Parfois le cadeau prévu était tellement ambitieux qu’on a fait modestement machine arrière. Ainsi d’un abécédaire de 26 lettres, on est passé aux six lettres de la France et du Brésil.

Je me souviens de l’étonnement des enfants de Recife devant la couleur de peau des enfants de France. Ils ne savaient pas que nos quartiers populaires rassemblent une population notamment venue de l’Afrique et du Moyen Orient.

Quand sur une grande enveloppe reçu de la BCCT nous lisons aux enfants français, je demande aux enfants de Nantes qui va l’ouvrir … s’ensuit un long silence. « Je suis africain » dit l’un, haut comme trois pommes, né à la maternité voisine… Je remercie nos amis de l’autre bout de la terre d’avoir fait découvrir aux enfants d’ici que leur histoire n’est pas figée, stigmatisée par les aléas du passé.

 

Nous avons trouvé des partenariats pour éditer, et, d’année en année, nous avons pu affecter un budget pour rémunérer des artistes graphistes. Nous collections la matière – l’enjeu était ambitieux – les moyens suivaient. Les partenaires, les habitants nous reconnaissaient dans la qualité de nos témoignages. De nouvelles compétences nous rejoignaient… parfois de façon complètement inattendue ! Merci Edouard, tu habitais Bordeaux, tu surfais sur internet. Tu as passé un week end avec nous à Nantes et tu as emporté des cartes postales aux enfants de Caranguejo. Et deux ans plus tard le livre des trois légendes nous donnait à admirer tes compétences artistiques !

 

Ce que ça a apporté à la BCCT

J’ai été témoin de l’élan formidable autour de l’apprentissage du français dans la favela.

« Aboie Georges » et « Beaucoup de beaux bébés » avaient durablement créé l’évènement : de l’université voisine, quelques étudiants et des professeurs apportaient leur compétence linguistiques et pédagogiques et se nourrissaient en échange de ces albums vitaminés inconnus. La proximité confiante de l’Alliance Française à Recife nous a rapprochés en finançant des stages linguistiques en France pour les animateurs de Caranguejo. Ainsi, à Nantes, les enfants ont chanté pour Lorena, qui apportait le jeu du crabe. Ils lui ont confié le chatoyant « Poissons Gourmands ».

Je ne sais pas si les carnets de chansons réalisés avec les enfants à Recife ont continué à bercer les cœurs. J’ai compris que la surface de 30 X 40 cm tout au dessus du haut casier métallique, s’appelait « le bureau de Jeanne ». C’était avant le déménagement. J’ai appris que le fonds d’albums offert continuait à sortir dans les familles. Que la BCCT représentait la bibliothèque francophone la plus importante de la ville de Recife (1 million et demi d’habitants) ! Chaque année, nous avons essayé d’enrichir ce fonds, en chargeant la valise de « facteurs » occasionnels. Les français expatriés ont également apporté leur contribution.

 

Coopérer, une impulsion politique initiale

2009 Invitation au festival de littérature de Recife

2019 La ville de Nantes fête 15 ans de coopération (10 pour nous). Pas grand chose à montrer avoue t’elle, si ce n’est ces 10 ans d’échanges obstinés réalisés entre nos deux bibliothèques. Super, la convention triennale renouvelée trois fois a apporté de l’oxygène notamment pour avancer dans la construction de la nouvelle bibliothèque à Recife.

Relations paradoxales et inconfortables entre la ville et notre petite association à Nantes. Je n’avais pas une vision très claire des projets que nous allions pouvoir mener. Avec le double jeu du « c’est vous qui le demandez » mais « c’est nous qui nous en flattons ». Nous avons pénétré, sans mode d’emploi, dans le labyrinthe des circuits de financement… Bonne chance ! Nous étions tenus à respecter forme et échéances… J’ai peu dormi, j’ai laissé brûler le repas et appris dans la douleur.

Avec la chance de rencontrer des élus qui ne nous ont pas roulé dans la farine. A Recife, les relations demeurent beaucoup plus compliquées !

Vivre et tenir la coopération politique n’a pas été simple et ne l’est toujours pas. La participation citoyenne a tenu bon, ancrée dans cet enjeu fort de l’accès à la culture et du partage du goût de lire. Des liens de confiance entre Reginaldo, Carmen, Benoit, Lorena, Maria, Jeanne, ont résisté. Liens – entre un même noyau de personnes – qui n’étaient pas susceptible d’être coupé par une élection ou un changement personnel ou professionnel de l’un ou l’autre. La fête des 10 ans de coopération à Cosmopolis en 2019 a donné à voir au nantais et aux bénévoles les relations construites toutes ces années. Huit personnes sont venues de Paris, d’Allemagne, de Briançon, de Rennes ou d’Anjou pour témoigner de la joie qu’ils avaient ressenti lors de leur séjour à la bibliothèque de Caranguejo. C’est donc en 2019 peut-être que beaucoup de membres de l’association Nanteslitdanslarue ont pris conscience de cet héritage.

 

Coopérer, avec l’argent

L’argent public,

L’engagement de la Ville de Nantes dans la durée est un trésor. Il a permis à nos amis de lever astucieusement chez eux d’autres partenariats financiers.

Même si plusieurs demandes, avec dossiers argumentés, n’ont pas pu encore aboutir : pour un voyage… pour un travail d’analyse de notre expérience. Douche froide sur notre enthousiasme. Et recours à la générosité sans faille d’acteurs, sans passer par la case « rétribution légitime » d’un vrai travail.

L’invitation au partage citoyen : depuis un an, un compte collecte l’épargne solidaire d’une petite dizaine de personnes. C’est l’un des fruits de la fête de Cosmopolis. Cet argent est envoyé à la Communauté.

 

Partenariat BCCT

Coopérer, se rencontrer…

J’étais la seule à avoir visité Caranguejo. Jusqu’à la fête de Cosmopolis, le projet Brésil n’était pas relié à des visages pour les bénévoles de Nantes. L’usage de skype nous est apparu comme un moyen pour mieux nous connaître. A plusieurs reprises nous avons essayé. Parvenir à une bonne qualité de connexion était très aléatoire en France, alors que ça ne posait aucun problème à Recife …

On s’est rendu compte que c’était très difficile de vivre des échanges en groupe. Propos inaudibles et bruits parasites nous ont malmenés. Les enfants réagissaient immédiatement sur les apparences. Elle est mignonne… il est gros… On a essayé plusieurs fois des échanges plus individuels via des cartes postales. Mais comme la réponse arrive au mieux 6 mois plus tard, il est difficile de tenir la motivation !

Je garde au cœur les fous rires des filles d’ici recevant une carte d’un garçon de là bas ou vice versa… Et leur étonnement quand ils lisaient que les enfants de Caranguejo aiment l’école et la bibliothèque.

Quand Lorena est venue comme assistante linguistique en France, elle nous a partagé les multiples richesses d’un livre qu’on avait reçu du Brésil – livre sur la fête de la Saint-Jean – Nous l’avons vraiment découvert avec elle, près de deux ans plus tard ! Nous n’avions pas su le faire seuls.

Au Brésil, vous vous exprimiez aisément sur votre idéal. A Nantes, on était plus au raz des pâquerettes. La contamination s’est faite plus implicitement en lisant, en chantant, en fabriquant dans la rue …

Les pistes de formation commune évoquées dés 2010 n’ont pas débouché ; les projets de voyage/rencontres sont restés dans nos têtes. J’ai perçu la motivation des enfants de Caranguejo, et l’énergie déployée sans succès par Reginaldo.

La fête à Cosmopolis a renforcé les liens. Les membres de Nanteslitdanslarue ont joué le jeu, et le mois de juin a été bien dense. On a fait connaissance, on a reçu les témoignages des amis de la BCCT, on a associé les enfants et les familles au voyage.

La cagnotte solidaire est née…

 

Je sais que nous n’avons pas répondu à toutes les attentes de nos amis de Recife ; je suis impressionnée par l’énergie déployée, pour assurer le quotidien, coopérer avec les autres bibliothèques communautaires, réfléchir avec l’université, garder les liens avec les volontaires de passage, monter des projets savoureux. Chapeau…

 

Dominique, une militante fidèle ajoute : ce lien de coopération nous fait voir plus loin que le bout de notre nez. Il élargit l’horizon de la bibliothèque de rue de Nantes. Je sais, par expérience, combien la rencontre des gens d’autres continents est toujours intéressante pour soi et pour les autres. Lire aux enfants… C’est une activité universelle. On n’en voit pas immédiatement les effets. Dans les albums, contes, romans, nous vibrons avec des héros dans lesquels nous nous projetons. Et un jour on dit : « Pourquoi je ne réussirais pas, »moi aussi !

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