50 ans des bibliothèques de rue

Une bibliothèque de rue, c’est quoi ?

Ce sont des gens, adultes et enfants, qui se retrouvent pour lire ensemble dans la rue.

Qui sont ces gens ? Des enfants, des animateurs, et les familles des enfants et habitants du quartier.

Quels sont ces livres ? Ceux qu’ils ont plaisir à partager.

Dans quelles rues ? Dans les rues de quartiers défavorisés

Les bibliothèques de rue d’aujourd’hui sont à la croisée de deux démarches.

 

Du côté des bibliothèques institutionnelles…..

Rendre le livre plus accessible en venant à la rencontre du lecteur n’est pas une idée récente.

Les bibliothèques hors les murs existent depuis la seconde moitié du 19ème siècle en France et apparaissent d’abord dans les hôpitaux, les écoles et les prisons. Ce sont des lieux de lecture en dehors des murs de la bibliothèque.

Vers 1850 on imagine les premières bibliothèques mobiles au Royaume Uni pour desservir les populations rurales ; une charrette contenant des livres, tirée par un ou plusieurs chevaux et est conduite par un bibliothécaire.

Même chose aux Etats Unis en 1905 dans le Maryland. Le bibliobus, La fréquence régulière des tournées du bibliobus fait naître une attente de la part de leur public et des liens affectifs.

Des projets naissent en France dans les années 30, avec la conception d’un véhicule destiné aux campagnes isolées et aux colonies françaises, mais l’engin ne voit pas le jour, il s’agissait d’un prototype de bus mis au point par Renault à la demande du président de l’Association des Bibliothécaires de France, Henri Lemaitre. Mais en1933 le projet de bibliobus est relancé dans l’Aisne puis dans la Marne…il fait ses preuves et se généralise en France.

Entre 1980 et 1999, chaque département est doté d’une BDP (Bibliothèque Départementale de Prêt). Leurs missions évoluent. L’un des premiers changements est le passage de BDP à Médiathèque départementale, et la notion de prêt se transforme au profit d’un rôle d’animateur de territoire.

Puis dans les années 2000, apparaît la notion de Bibliothèque hors les murs sans véhicule, ce qui permet de proposer des implantations plus variées et plus nombreuses. Ces actions hors les murs se déroulent surtout en ville, où d’autres moyens de déplacement existent, avec les transports en commun ou l’utilisation des parcs et jardins pour installer une bibliothèque.

Le principal exemple de ces interventions hors les murs sans véhicule est celui des bibliothèques de la ville de Paris.

Selon Laurence Tertian, coordinatrice des bibliothèques hors les murs à Paris, jusqu’en octobre 2016, cette initiative fut lancée sur le modèle des actions menées par ATD Quart-Monde qui sont « à l’origine de tout, c’est une évidence ».

Aujourd’hui, de nombreux pays dépourvus de réseau de lecture publique mettent en œuvre des bibliobus en utilisant les ressources locales : en Argentine à dos d’âne, au Kenya avec des dromadaires, en Mongolie avec des chameaux, au Cambodge avec des éléphants, en Indonésie à dos de cheval, les bateaux au Laos ou en Finlande, les taxis en Haïti, le vélo en Afghanistan etc.

 

Du côté d’ ATD Quart Monde

L’histoire des bibliothèques de rue d’ATD Quart Monde est liée un homme, un prêtre, Joseph Wresinski, lui même relié à une population, le Quart-Monde, ensemble ils ont créée un Mouvement, ATD Quart Monde.

Vidéo sur la création et les grands traits du Mouvement ATD Quart Monde http://www.joseph-wresinski.org/fr/1535-2/

 

Les fondements des bibliothèques

Ils reposent sur ceux du Mouvement ATD Quart Monde

 

  • Un autre regard

En 1956 le Père Joseph Wresinski s’est installé au cœur du bidonville à Noisy le Grand non pour s’occuper des plus pauvres, mais pour vivre au cœur de ce qu’il dénommera son peuple. Il avait une conception de la pauvreté inédite et une confiance radicale dans les personnes qui la vivaient, ce qui changeait tout dans la manière de lutter. « La misère n’est pas fatale, disait-il, elle est l’œuvre des hommes, seuls des hommes peuvent la détruire… ».

 

  • Le refus de l’assistanat

Joseph Wresinski savait d’expérience que les réponses à la grande pauvreté, si elles ne sont que matérielles, aggravent la situation. Il se mettait en colère contre l’assistanat qui prive les pauvres de la dignité d’être acteurs de leur avenir. Son combat a consisté à mettre les personnes abîmées par la misère, en relation entre elles, en relation avec le reste de la société, à les mettre debout, actives et responsables. Ensemble, ils se lancent dans la construction, au sein de leur cité d’une bibliothèque, une laverie, un salon d’esthétique, un jardin d’enfants, des ateliers et une chapelle. Forts de cette expérience, toujours ensemble, ils créent en 1957 l’association Aide à toute détresse – Quart-Monde qui vise à éradiquer l’extrême pauvreté, et se fixe pour principe fondateur que les pauvres doivent être les premiers acteurs de leur propre émancipation.

« C’était difficilement compréhensible pour les gens de l’extérieur qui, en voyant notre dénuement croyaient bien faire en nous assistant, raconte Marie Jahrling, qui vécut enfant au camp.(…) Ce n’était pas  bien  compris non plus à l’intérieur du camp. Beaucoup de familles n’avaient presque rien à manger et elles s’accrochaient terriblement aux quelques facilités qu’on pouvait nous faire : soupe populaire, distribution de linge. »

 

  • Se cultiver, se prendre en main

« La culture, disait J. Wresinski, est création, rencontre des hommes, produit des échanges entre les hommes. Elle est l’histoire même des hommes, pétris, forgés ensemble. » Il expliquait : « concrètement, , il ne s’agit pas du tout de « distribuer de la culture » aux familles françaises très pauvres qui en sont privées. Il s’agit avant toute chose de permettre à toute une population de se savoir sujet de culture, homme de culture. Il s’agit de permettre à l’ensemble de la société de reconnaître que le plus pauvre de ses membres a droit à la culture, qu’il est capable d’en être sujet et que sa contribution est essentielle à tous. »

Marie Jahrling témoigne « Le père Joseph ne voulait qu’une chose mais il la voulait absolument : que les gens se prennent en main ! Peu à peu le père Joseph a fait des choses sur le plan culturel. Grâce à lui j’ai compris, nous avons compris, que nous étions des personnes à part entière. Que nous n’étions pas des parasites. Grâce à lui nous avons compris que nous devions nous cultiver, qu’il était important de nous cultiver.(…) Et il pensait que c’était très important de le faire dès le plus jeune âge »

 

  • Prendre tout le monde en compte, sans exception

Joseph Wresinski, voulait bâtir une communauté où il fait bon vivre pour tous. « Pour tous », ne signifie pas pour le plus grand nombre, mais « pour tous sans exception ».

Et pour que le « pour tous sans exception » soit possible, il faut commencer par le plus pauvre et le plus petit. En effet souligne avec force le père Joseph « la priorité aux plus pauvres se place au point de départ, elle n’est jamais acquise chemin faisant ».  Prendre les plus pauvres comme partenaires, c’est être avec eux, et non pas faire pour eux sans les avoir consultés.

Passer du « pour » à l’« avec » n’est qu’un aménagement, dans le même système de pensée : on améliore, les attitudes se modifient, il y a plus de respect, plus de bienveillance, peut-être plus d’efficacité, mais en définitive : rien n’est nouveau, c’est toujours la même chose sous des formes légèrement corrigées…

Le père Joseph pensait qu’il fallait faire à partir des plus pauvres.

A partir d’eux,ou à commencer par eux. Il s’agit d’un changement où c’est la référence qui change.

(Lucette, une femme du camp aurait aimé passer chez l’esthéticienne, alors que les autres femmes du camp n’avaient guère envie de l’y voir, «mais vous n’avez pas compris, dit J.W. votre objectif c’est que Lucette vienne, c’est à ce moment-là que vous aurez gagné »)

 

  • L’importance de la beauté

« Rien n’est jamais trop beau pour les plus pauvres, rien ne sera jamais assez beau pour eux » disait Joseph Wresinski lorsqu’il mit en construction le plus beau des petits jardins d’enfants au bord du camp de Noisy-le-Grand dans les années soixante. A cette époque, Jean Bazaine, à sa demande, avait déjà créé ses vitraux pour la chapelle du camp et il avait accroché des lithographies originales de Miró, Braque et Léger, aux murs du Foyer féminin qu’il avait aidé à bâtir de ses mains.

Les personnes qui vivent la pauvreté expriment dans toute sa profondeur une attente qui vaut pour tous les milieux peu aisés. « Nous vivons toujours dans le laid », disent les adultes. « Chez nous, tout est laid », disent les enfants.

Un besoin auquel la collectivité ne semble même plus penser lorsqu’elle se trouve en face d’un citoyen en situation de précarité. Pourtant l’accès à la beauté constitue une des conditions primordiales pour participer à la vie de la collectivité environnante

 

L’histoire des bibliothèques

Au sein du centre de Noisy existait une bibliothèque. La bibliothèque pour enfants, au cœur du bidonville de Noisy le grand, fut une étape importante vers la bibliothèque de rue. C’est un volontaire permanente de la première heure qui s’est attelée à sa création, Gabriel Erpicum  :

« J’avais été bénévole dans une petite bibliothèque dans l’esprit de celle de la joie par les livres de Clamart, très novatrice dans les années 1960. Pour créer et gérer la bibliothèque du camp, j’ai réuni une dizaine d’enfants de 13-14 ans, qui se sont passionnés. Nous avons trié et indexé des livres donnés, mis en place un fichier, trouver un local, et la bibliothèque a été créé. Elle est rapidement devenu le « pivot culturel », c’est-à-dire un lieu offrant à lecture, mais aussi d’autres activités culturelles et artistiques. Progressivement, les enfants ont été fier de ce lieu, ils en ont parlé aux copains, au point de les y amener, eux qui d’habitude avaient honte du camp, et le pivot culturel, a été très vite un carrefour. »

C’est à partir de cette bibliothèque fixe qu’a éclaté, dans le contexte de mai 1968, l’idée du « savoir dans la rue », qui a donné naissance au bibliothèque de rue. Joseph Wresinski disait : « nous avons pu créer le pivot culturel à Noisy-le-Grand, parce que nous vivons au milieu du camp. Mais ailleurs, beaucoup d’enfants pauvres n’ont pas la possibilité de quitter leur cité et d’aller dans des lieux où il y a des bibliothèques. » D’autant moins qu’à l’époque, il y avait peu de bibliothèques publiques, et encore moins dans les quartiers pauvres. La nécessité que le livre vienne à l’enfant s’est alors imposée. Et une volontaire s’est lancée dans l’expérimentation du livre dans la rue, dans une cité de Stains six ans région parisienne. Elle partait avec un sac à dos plein de livres, aller ça soir dans la rue et   lisait avec les enfants. Au moment de mai 1968, ATD quart monde a créé une deuxième bibliothèque dans un bidonville de Nanterre.

Les événements de 1968 représentaient pour Joseph Wresinski un phénomène intéressant mais aussi un véritable gâchis, car il considérait que ces jeunes qui manifestaient avaient la chance de pouvoir étudier, alors que ceux du quart-monde avaient rarement l’espoir de passer en secondaire, et aucune perspective d’entrée à l’université. Lui-même disait : « je suis jaloux de ce qui, dès l’enfance, ont appris à aimer la musique et la danse, l’art et la poésie. Je n’ai pas eu cette chance et toute ma vie, j’en ai souffert. Pouvoir l’offrir aux plus pauvres a été mon combat » .

Ce fut dans ce contexte que naquit l’idée d’inviter les étudiants à partager leurs savoirs, et cette action fut baptisé « savoir dans la rue ». Des étudiants en médecine, par exemple, animaient des journées de la santé, partout où le mouvement était implanté, ou encore des étudiants en histoire présentaient une rétrospective historique à l’occasion du 14 juillet.

Puis les bibliothèques de rue se sont développées, devenant la principale action du « savoir dans la rue ». Et un peu partout en France, des animateurs, volontaires permanent ou alliés entre parenthèses bénévoles, sont partis à la rencontre d’enfants avec des livres, dans la rue. Par la suite, les bibliothèques de rue se sont multipliés dans d’autres pays où est implanté ATD–quart-monde.

Dès l’origine des bibliothèques de rue, Joseph Wrésinski voulait pour elles « les meilleurs livres ». Pour les sélectionner à ATD quart monde a travaillé avec Geneviève Pate directrice de la bibliothèque pour enfants La joie par les livres.

Puis elles se sont développées à l’international. De nombreux témoignages d’aventures humaines vécues en bibliothèques de rue font apparaître que les liens qui se tissent autour des livres, des histoires et des images, du plaisir partagé à les lire ensemble, sans autre enjeu, d’apprentissage, de réussite, d’éducation, de compétition ou de progrès individuel – ouvrent à la rencontre, et par la suite à « l’agir ensemble ».

( accès aux soins au Guatemala suite à des moments partagés en bibliothèque de rue – Moments d’amitié, et d’humanité autour des livres suite à un cyclone à Madagascar. Cf livre « Les Bibliothèques de rue » p. 127 à 131)

 

Conclusion

Les Bibliothèques de rue d’ATD et celles qui y ressemblent

continuent d’exister et de se développer, depuis 50 ans, avec une double ambition, partager le savoir, la beauté, contenus dans les livres, et révéler aux personnes en situation de précarité leur propre richesse. Elles restent aujourd’hui ce formidable moyen de découverte, de rencontre et de réciprocité qui ouvre à d’autres changements.

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